Sœur Marie

« Les carmélites, ce sont des femmes qui prient pour ceux qui ne prient pas. » Par cette petite phrase entendue au seuil de l’âge adulte, le Seigneur me montrait toute la fécondité d’une vie menée dans le silence, uniquement pour Dieu ; j’avais la confirmation d’une autre intuition déjà entrevue : que ce sont les ermites qui portent le monde, dans l’humilité de leur vie cachée. Être ermite, vivant au désert, attentive à plaire à Dieu seul, à aller jusqu’au bout de cette invitation à le rencontrer, n’était plus contradictoire avec le désir que « tout homme soit sauvé », l’urgence intérieure à transmettre le trésor de l’Évangile, que je voyais si peu connu autour de moi, alors que beaucoup souffraient du manque de sens à leur vie. Cette soif de Dieu inscrite au cœur de tout homme, si j’en vivais, moi, jusqu’au bout, jusqu’à en faire ma seule raison d’être, alors des fleuves d’eau vives se répandraient mystérieusement sur notre monde assoiffé. Dès lors, que je le veuille ou non, je savais que mon chemin aboutirait là, au Carmel. La lecture des œuvres de sainte Thérèse d’Avila a fini de me fasciner et de me convaincre ! Mais au fond je le savais déjà depuis longtemps, il suffisait d’écouter à l’intérieur de moi…

Ce qui m’a attiré au Carmel, c’était à la fois sa radicalité et sa simplicité. Une vie où l’on disparaît de la surface de la terre, où l’on n’est plus vu, où l’essentiel va se jouer dans le cœur à cœur avec Dieu, dans l’oraison, et non dans les œuvres extérieures. Une vie dans une petite maison, dans une communauté de petite taille, avec une liturgie sobre : cela me parlait beaucoup, parce que toute cette sobriété et cette discrétion me paraissaient propices à ne pas oublier l’essentiel. Et la radicalité : « se donner toute au Tout, sans rien se réserver », aurait dit sainte Thérèse ; je savais que la vie du Carmel m’y aiderait, qu’elle m’empêcherait de tourner la tête ailleurs quand j’aurais un peu moins envie de me donner…

Bien souvent des amis ou des parents m’ont dit, avant mon entrée au monastère : « Mais toi qui étais si active, qui voyais tellement d’amis, qui aimais tellement voyager, etc., comment vas-tu tenir là-dedans ? » Je crois qu’on ne comprend cela que si l’on saisit qu’à la source d’un choix de vie cloîtrée, il y a une histoire d’amour, très intime, très personnelle, avec le Christ. Il est là et il appelle : « Toi, viens, suis-moi ! — Et laissant tout, il le suivit. » Cet amour comble, au-delà de tout ce qu’on aurait pu recevoir ailleurs, et on expérimente un PROFOND BONHEUR. C’est tout le secret, autrement ça ne tiendrait pas trois jours !

Je suis restée 15 ans dans mon carmel d’origine, et puis est venue cette proposition de fondation au Centre Saint Jean de la Croix. Là encore, cela venait répondre à une attente très personnelle, à un désir profond de renouveau de notre vie carmélitaine, de retour à l’essentiel de ce que nos saints avaient vécu, de ce que sainte Thérèse avait voulu remettre à l’honneur avec sa réforme. Et puis il y avait cette certitude intérieure, la même que celle du premier appel : « C’est là que Dieu te veut maintenant. » C’est cette certitude qui me porte encore aujourd’hui, et qui me fait rendre grâce au Seigneur, qui, comme pour Marie, « fit pour moi des merveilles ». Que son nom soit béni !