Saint Joseph

Appelé à veiller sur le Rédempteur à l’aube des temps nouveaux, saint Joseph contemple le mystère du Dieu fait enfant, sur lequel il a mission de veiller. Homme de silence, homme de foi, il nous entraîne dans son intimité avec Marie et Jésus, nous enseigne à devenir comme lui des hommes et des femmes d’oraison, et se fait visage de la bonté paternelle de notre Dieu.

 

Celui qui veille sur le Rédempteur

Les épisodes concernant saint Joseph dans les évangiles sont peu nombreux. Il reçoit après Marie une annonciation, qui le confirme dans son rôle d’époux de Marie et père adoptif de l’enfant qui naîtra d’elle, engendré du Saint-Esprit ; il est ensuite présent lors des différents épisodes de l’enfance du Christ relatés par Luc et Matthieu, puis il disparaît complètement, si ce n’est que Jésus est parfois appelé « le fils du charpentier ».

Saint Joseph a donc joué un rôle très effacé, quoique central dans l’histoire du salut. Central car cet homme « juste », c’est-à-dire parfaitement ajusté à la sainteté divine, est le dépositaire du mystère de notre salut. En effet le Père voulait que son Fils naisse et grandisse dans une vraie famille humaine, porté par l’amour de deux époux qui seraient ses parents, et en particulier qu’il ait sur terre un père qui veillerait avec amour sur sa croissance « en sagesse, en taille et en grâce » (Lc 2, 52). Par cet enracinement du Fils de Dieu fait homme dans une famille humaine se confirmait la vérité, l’épaisseur du mystère de son incarnation, qui lui faisait emprunter les chemins mêmes de tous les enfants des hommes.

Saint Joseph a été appelé par Dieu à servir directement la personne et la mission de Jésus en exerçant sa paternité. C’est bien de cette manière qu’il coopère dans la plénitude du temps au grand mystère de la Rédemption et qu’il est véritablement « ministre du salut » (Saint Jean Chrysostome). Sa paternité s’est exprimée concrètement dans le fait « d’avoir fait de sa vie un service, un sacrifice au mystère de l’Incarnation et à la mission rédemptrice qui lui est liée; d’avoir usé de l’autorité légale qui lui revenait sur la sainte Famille, pour lui faire le don total de lui-même, de sa vie, de son travail; d’avoir converti sa vocation humaine à l’amour familial en une oblation surnaturelle de lui-même, de son cœur et de toutes ses forces à l’amour mis au service du Messie qui naquit dans sa maison » (bx Paul VI, Allocution du 19 mars 1966).

La liturgie rappelle qu’« à saint Joseph a été confiée la garde des mystères du salut à l’aube des temps nouveaux », et elle précise qu’« il fut le serviteur fidèle et prudent à qui Dieu confia la sainte Famille pour qu’il veille comme un père sur son Fils unique. » Léon XIII souligne la sublimité de cette mission : « Joseph brille entre tous par la plus auguste dignité, parce qu’il a été, de par la volonté divine, le gardien du Fils de Dieu, regardé par les hommes comme son père. D’où il résultait que le Verbe de Dieu était humblement soumis à Joseph, qu’il lui obéissait et qu’il lui rendait tous les devoirs que les enfants sont obligés de rendre à leurs parents » (Encyclique Quam pluries, 1889).

Il serait inconcevable qu’à une tâche aussi élevée ne correspondent pas les qualités voulues pour bien l’accomplir. Il convient donc de reconnaître que Joseph eut à l’égard de Jésus, « par un don spécial du ciel, tout l’amour naturel, toute l’affectueuse sollicitude que peut connaître un cœur de père » (Pie XII, radiomessage du 19 février 1958).

En même, temps que la puissance paternelle sur Jésus, Dieu a aussi accordé à Joseph l’amour correspondant, cet amour qui a sa source dans le Père, « de qui toute paternité, au ciel et sur la terre, tire son nom » (Ep 3, 15).

Saint Jean-Paul II, exhortation apostolique Redemtporis custos

 

Ainsi, ce n’est pas n’importe quel homme qui est choisi pour cette mission de père adoptif de l’enfant Jésus, mais celui qui fut sans doute le plus grand de tous les saints, un « homme au cœur pur » (hymne à saint Joseph), profondément accordé en ses pensées et en ses actes à celle qui était l’Immaculée Conception.

C’est une loi générale, dans la communication de grâces particulières à une créature raisonnable : lorsque la bonté divine choisit quelqu’un pour une grâce singulière ou pour un état sublime, elle lui donne tous les charismes nécessaires à sa personne ainsi qu’à sa fonction, et qui augmentent fortement sa beauté spirituelle.

Cela s’est tout à fait vérifié chez saint Joseph, père présumé de notre Seigneur Jésus Christ, et véritable époux de la Reine du monde et Souveraine des anges. Le Père éternel l’a choisi pour être le nourricier et le gardien fidèle de ses principaux trésors, c’est-à-dire de son Fils et de son épouse ; fonction qu’il a remplie très fidèlement. C’est pourquoi le Seigneur a dit : Bon et fidèle serviteur, entre dans la joie de ton maître.

Sermon de saint Bernardin de Sienne

L’homme du silence

Si l’on conserve peu d’épisodes qui nous parlent de saint Joseph, aucune parole de lui ne nous est rapportée. Ce fait en lui-même est significatif. Vivant dans l’intimité de Jésus et de Marie, Joseph est avant tout l’homme du silence. Il a vu naître puis grandir le Fils de Dieu fait homme, il l’a entouré de son affection et s’est imprégné peu à peu de ce mystère du salut qui s’inaugurait sous son propre toit. Il a été, avec Marie, le premier à être dans le secret du Ciel, à savoir que le Messie avait été envoyé à son peuple, qu’il s’agissait du Fils du Très-Haut en personne.

L’émerveillement de Joseph devant ce mystère insondable se traduit naturellement par le silence. Déjà, il envisageait de répudier Marie « en secret », loin de toute démonstration publique, pour la laisser à son propre mystère, qui le dépassait. Confirmé dans son alliance nuptiale avec elle, il sera celui qui se recueille, qui médite en profondeur, comme Marie elle-même qui « conservait toutes ces choses et les méditait dans son cœur ». Son travail d’artisan lui permettait d’ailleurs d’épanouir cette vocation contemplative. Les moines rappelleront souvent le bénéfice du travail manuel silencieux, pour soutenir la prière au long de la journée : tandis que les mains travaillent, l’esprit est occupé aux choses de Dieu. Une vie extérieure toute simple, banale même, abrite secrètement une contemplation de tous les instants.

Il faut, de ce fait, imaginer Joseph profondément heureux, dans la présence constante de Marie l’Immaculée, dont l’innocence et la grâce illuminait sa vie, dans la présence d’un petit Enfant dont le regard confiant reflétait le Ciel d’où il était venu. Profondément époux, profondément père, fidèle à la vocation que le Seigneur lui avait assignée, il n’avait pas besoin de se faire remarquer ; il était comblé là où le Seigneur le voulait, rendant grâce pour le trésor à lui confié, dont il ne se lassait pas de découvrir les multiples facettes : la « meilleure part » qu’il avait choisie en obéissant à l’appel de Dieu ne lui serait pas enlevée.

On pourrait appliquer à Joseph les réflexions bien connues de saint Jean de la Croix sur l’« insondable richesse du Christ » :

Malgré tous les mystères et toutes les merveilles que les saints docteurs ont découverts ou que les saintes âmes ont pu contempler ici-bas, la plus grande partie en reste encore à dire et même à concevoir. Ce qui est dans le Christ est inépuisable ! C’est comme une mine abondante remplie d’une infinité de filons avec des richesses sans nombre ; on a beau y puiser, on n’en voit jamais le terme ; bien plus, chaque repli renferme ici et là de nouveaux filons à richesses nouvelles ; ce qui faisait dire à saint Paul du Christ : Dans le Christ se trouvent cachés tous les trésors de la sagesse et de la connaissance de Dieu. Mais l’âme ne peut y pénétrer ni les atteindre, si, comme nous l’avons dit, elle ne passe pas d’abord et n’entre pas dans la profondeur des souffrances extérieures et intérieures ; il faut, de plus, qu’elle ait reçu de Dieu une foule de faveurs intellectuelles et sensibles, et qu’elle ne soit exercée longtemps dans la spiritualité ; ces faveurs sont en effet d’un ordre inférieur : ce sont des dispositions pour arriver aux cavernes élevées de la connaissance des mystères du Christ, la plus haute sagesse à laquelle on puisse parvenir ici-bas.

Oh ! si l’on finissait enfin par comprendre qu’il est impossible de parvenir à la profondeur de la sagesse et des richesses de Dieu sans pénétrer dans la profondeur de la souffrance de mille manières, l’âme y mettant sa joie et ses désirs (afin de comprendre avec tous les saints quelle en est la largeur et la longueur, la hauteur et la profondeur) ! L’âme qui désire vraiment la sagesse désire aussi vraiment entrer plus avant dans les profondeurs de la Croix qui est le chemin de la vie ; mais peu y entrent. Tous veulent entrer dans les profondeurs de la sagesse, des richesses et des délices de Dieu, mais peu désirent entrer dans la profondeur des souffrances et des douleurs endurées par le Fils de Dieu : on dirait que beaucoup voudraient être déjà parvenus au terme sans prendre le chemin et le moyen qui y conduit.

Saint Jean de la Croix, Le Cantique spirituel

 

On pourrait aussi mettre dans sa bouche la jubilante prière du roi David, qui s’exclame après avoir reçu les promesses divines pour sa maison :

« Qui suis-je donc, Seigneur, et qu’est-ce que ma maison, pour que tu m’aies conduit jusqu’ici ?

Mais cela ne te paraît pas encore suffisant, Seigneur, et tu adresses une parole à la maison de ton serviteur pour un avenir lointain. Est-ce là, Seigneur Dieu, la destinée de l’homme ?

Oui, c’est toi, Seigneur de l’univers, Dieu d’Israël, qui as fait cette révélation à ton serviteur : “Je te bâtirai une maison.” C’est pourquoi ton serviteur ose t’adresser cette prière :

Seigneur, c’est toi qui es Dieu, tes paroles sont vérité, et tu as fait cette magnifique promesse à ton serviteur.

Daigne bénir la maison de ton serviteur, afin qu’elle soit pour toujours en ta présence. Car toi, Seigneur Dieu, tu as parlé, et par ta bénédiction la maison de ton serviteur sera bénie pour toujours. »

Deuxième livre de Samuel, chap. 7

Avant tout, Joseph vit de foi. On chante, à l’office de sa fête, « Le juste vit de la foi au Dieu fidèle ; le juste jamais ne chancelle : le cœur ferme il se fie au Seigneur ». Il s’ajuste, jour après jour, à la volonté de Dieu souvent déroutante, et comme Abraham avant lui, accepte de tout quitter pour « partir sans savoir où il allait », non seulement lors de la fuite en Égypte, mais à toutes les étapes de cette vie hors norme à laquelle il était appelé.

La foi est une façon de posséder ce que l’on espère, un moyen de connaître des réalités qu’on ne voit pas.
Et quand l’Écriture rend témoignage aux anciens, c’est à cause de leur foi.
Or, sans la foi, il est impossible d’être agréable à Dieu ; car, pour s’avancer vers lui, il faut croire qu’il existe et qu’il récompense ceux qui le cherchent.
Grâce à la foi, Abraham obéit à l’appel de Dieu : il partit vers un pays qu’il devait recevoir en héritage, et il partit sans savoir où il allait.
Grâce à la foi, il vint séjourner en immigré dans la Terre promise, comme en terre étrangère ; il vivait sous la tente, ainsi qu’Isaac et Jacob, héritiers de la même promesse, car il attendait la ville qui aurait de vraies fondations, la ville dont Dieu lui-même est le bâtisseur et l’architecte.
C’est dans la foi, sans avoir connu la réalisation des promesses, qu’ils sont tous morts ; mais ils l’avaient vue et saluée de loin, affirmant que, sur la terre, ils étaient des étrangers et des voyageurs.
Or, parler ainsi, c’est montrer clairement qu’on est à la recherche d’une patrie.
S’ils avaient songé à celle qu’ils avaient quittée, ils auraient eu la possibilité d’y revenir.
En fait, ils aspiraient à une patrie meilleure, celle des cieux. Aussi Dieu n’a pas honte d’être appelé leur Dieu, puisqu’il leur a préparé une ville.
Grâce à la foi, Moïse quitta l’Égypte sans craindre la colère du roi ; il tint ferme, comme s’il voyait Celui qui est invisible.
Par leur foi, ils ont conquis des royaumes, pratiqué la justice, obtenu la réalisation de certaines promesses.

Lettre aux Hébreux, chap. 11

 

C’est en cela aussi qu’il peut se révéler pour nous le « maître d’oraison » par excellence.

Je voudrais persuader à toutes les âmes qu’elles doivent porter de la dévotion à ce glorieux saint. Une longue expérience, en effet, m’a montré les grâces qu’il nous obtient de Dieu. Je n’ai pas connu une seule personne, ayant pour lui une dévotion vraie et l’honorant d’un culte particulier, que je ne l’aie vue plus avancée dans la vertu. Il fait progresser d’une manière admirable les âmes qui se recommandent à lui. […] Les âmes d’oraison, en particulier, lui doivent un culte tout filial. Je ne sais d’ailleurs comment on pourrait penser à la Reine des Anges et à toutes les souffrances qu’elle a endurées en compagnie de l’Enfant Jésus, sans remercier saint Joseph de les avoir si bien aidés alors l’un et l’autre. Que celui qui n’aura pas de maître pour lui enseigner l’oraison prenne ce glorieux saint pour guide, et il ne risquera point de s’égarer.

Sainte Thérèse de Jésus, Vie, chap. VI

Intercesseur et modèle

Tous ceux qui ont découvert saint Joseph, comme père, comme protecteur, comme modèle de vie intérieure, ont spontanément recours à lui dans tous leurs besoins. S’en remettre à saint Joseph, c’est avant tout s’en remettre à la providence de Dieu, à son amour de Père qui jamais ne nous oublie : « Votre Père sait de quoi vous avez besoin avant même que vous l’ayez demandé » (Mt 6, 8). C’est faire comme l’Enfant Jésus, qui s’endormait en toute sécurité tant que son père de la terre était là pour veiller sur lui.

C’est ainsi que sainte Thérèse pouvait encore écrire :

Je pris pour avocat et patron le glorieux saint Joseph et je me recommandai instamment à lui. J’ai vu bien clairement que c’est lui, mon père et mon protecteur, qui m’a guérie de ma grande infirmité, comme il m’a tirée également de dangers très grands où il s’agissait de mon honneur et du salut de mon âme. Son assistance m’a procuré plus de bien que je ne savais lui en demander ; Je ne me souviens pas de lui avoir jamais adressé une supplique qu’il ne l’ait exaucée. C’est une chose merveilleuse que les grâces insignes dont Dieu m’a favorisée, et les dangers tant du corps que de l’âme dont il m’a délivrée par la médiation de ce bienheureux saint. Les autres semblent avoir reçu de Dieu le pouvoir de nous assister dans une nécessité spéciale. Mais ce glorieux saint, je le sais par expérience, nous assiste dans tous nos besoins. Notre-Seigneur veut nous faire comprendre que, s’il a été soumis sur la terre à celui qu’il appelait son père, parce que c’était son gouverneur qui pouvait lui commander, il défère également au ciel à toutes ses suppliques. À l’heure actuelle, elles sont nombreuses les âmes qui l’honorent et constatent de nouveau la vérité de ce que j’avance.

Sainte Thérèse de Jésus, Vie, chap. VI

Elle confia d’ailleurs au patronage de saint Joseph le tout premier carmel qu’elle fonda, à Avila, puis l’ensemble de sa réforme.

À notre époque où la figure du père est si malmenée, où beaucoup de familles sont déchirées, nous pouvons redécouvrir en saint Joseph, chef de la sainte Famille, un appui pour notre propre vie chrétienne, et repartir avec lui sur de bonnes bases humaines et spirituelles, en mettant notre main dans la sienne comme le fit si souvent l’Enfant Jésus, et en lui demandant de nous enseigner à être nous aussi des « justes », des hommes et des femmes de l’Évangile, des contemplatifs au cœur paisible et jubilant.

 

R/ Dieu t’a choisi. Que Dieu soit béni !
Fils de David, Époux de Marie.
Entre tes mains, le Christ enfant
a remis sa vie.

Homme d’espérance,
à toi vient la Promesse,
sur l’heure accomplie
quand tu reçois le Messie !

Homme de silence,
à toi vient la Parole,
la voix inouïe
du Verbe qui balbutie !

Tu te tiens dans l’ombre,
à toi vient la Lumière
du fond de la nuit
jusqu’à ton cœur ébloui !

Juste entre les justes
c’est toi vers qui la face
de la Vérité
lève un regard nouveau-né !

Homme doux et chaste,
chez toi l’Amour demeure.
La main dans ta main,
il va se mettre en chemin !

Hymne à saint Joseph (Jacqueline-Frédérique Frié)

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