Saint Macaire d’Égypte

Fondateur de la colonie érémitique de Scété en Égypte, au IVe siècle, disciple de saint Antoine et inspiration majeure de la spiritualité monastique dans tous les siècles suivants, saint Macaire nous reste présent surtout par une série d’homélies spirituelles qui sont autant de chefs-d’œuvre. Il y présente la dignité de l’âme appelée à la divinisation par la grâce du Saint-Esprit, grâce déjà présente au baptême, mais pleinement agissante lorsque l’homme choisit de se laisser saisir entièrement par elle. Au terme de la lutte pour se laisser transfigurer par l’Esprit, Macaire chante la joie de l’union avec le Christ, l’émerveillement qui saisit l’âme, le retour à une spontanéité toute divine pour le bien.

 

Un père du désert, et du monachisme de tous les temps

Saint Macaire d’Égypte, ou Macaire le Grand, né en Haute-Égypte au début du IVe siècle, ressentit très jeune l’appel à une vie consacrée dans le célibat, et résista au projet de mariage que sa famille avait formé pour lui. Il quitta vers 30 ans son métier de transporteur de nitre, pour aller mener la vie monastique au désert, sous la direction de saint Antoine. Il y fonda Scété, l’une des trois grandes colonies monastiques égyptiennes, à dominante anachorétique, mais structurée par une forme minimale de vie communautaire. Exilé un temps pour s’être opposé à l’hérésie arienne, il put revenir finir ses jours au désert, où il mourut vers 391.

Parmi ses nombreux disciples, il faut citer Évagre le Pontique. Mais son rayonnement spirituel a été immense, bien au-delà du lien direct entre maître et disciple, si bien qu’il reste avec Evagre la principale source d’inspiration du monachisme ancien, et encore aujourd’hui du monachisme oriental. Citons, parmi les auteurs chez qui son influence est la plus tangible : Isaïe de Scété, qui fut son tachygraphe ; Jean et Barsanuphe de Gaza, et leur disciple Dorothée, très marqués par la tradition scétiote ; Isaac le Syrien, Maxime le Confesseur, Joseph Hazzaya, Jean de Dalyatha, Syméon le Nouveau Théologien, et chez les orthodoxes : Grégoire Palamas, Nil Sorsky, Séraphim de Sarov, Théophane le Reclus. Mais on trouve trace de Macaire également dans le piétisme protestant et le méthodisme, et dans la Compagnie de Jésus, où il était l’une des lectures conseillées aux novices.

 

Les Homélies spirituelles sont-elles bien de saint Macaire ?

On possède un corpus de 86 homélies de saint Macaire, qui forment le plus gros de son œuvre écrite. Jusqu’aux années 1920, la paternité de ces textes ne lui était pas contestée. On a depuis fait observer la parenté incontestable de certains passages des Homélies avec la doctrine messalienne, hérésie qui niait l’utilité du baptême et faisait consister toute la vie chrétienne dans l’expérience spirituelle. On trouve effectivement des idées très proches dans les Homélies, mais elles semblent plutôt une réponse à ces thèses, d’autant que Macaire y met en garde contre les excès : considérer que le péché prive l’âme entièrement de sa liberté, nier l’utilité du baptême, donner de l’importance aux grâces mystiques extraordinaires.

On pourrait donc penser que c’est un groupe illuministe messalien qui s’est livré dans un second temps à la composition d’un florilège d’extraits issu du corpus macarien original ; ces extraits, tirés de leur contexte, leur aurait servi ensuite à justifier leurs propres erreurs, et seraient tombés explicitement sous la condamnation de la hiérarchie ecclésiale de l’époque, d’où la présence de citations de Macaire dans les condamnations. Nous pouvons de toute façon conserver à saint Macaire le patronage spirituel de ces homélies, dont la doctrine très riche déborde largement les erreurs en question, et concorde bien avec ce qu’on sait de la vie de Macaire et de la tradition monastique égyptienne.

 

Doctrine spirituelle de saint Macaire

Divinisés par le Saint-Esprit

Les homélies de saint Macaire affirment fortement la vocation divine de l’homme : il est appelé à la divinisation, ce qui sera le moteur de tout son itinéraire spirituel. L’âme humaine, en effet, a été créée à l’image de Dieu, et jamais le mal ne pourra détruire complètement cette image. Cette divinisation de l’homme est finalement l’extension à chaque croyant de l’union de la divinité et de l’humanité accomplie dans l’Incarnation du Verbe : en lui les deux natures divine et humaine sont « mélangées » dans une union parfaite, qui laisse toutefois subsister pleinement la distinction des natures.

Cette participation plénière à la divinité, vers laquelle tout homme tend spontanément du fait de sa nature, suppose malgré tout de recevoir en soi un élément étranger à la nature humaine : le Saint-Esprit. En effet le mal lui-même, en prenant possession de l’âme à l’occasion du péché, est un élément étranger à la nature humaine créé bonne, et qui vient l’obscurcir et la rendre incapable de la communion avec Dieu ; cela s’est produit lors du péché originel, et se produit à nouveau lors de chaque acte mauvais que nous commettons. L’homme n’est finalement complet que s’il reçoit en lui un don qui est plus qu’humain, celui du Saint-Esprit.

Ainsi la grâce du baptême n’atteint son développement normal que si l’âme en vient à être mue de manière habituelle par l’Esprit Saint, qui restitue en elle une spontanéité toute divine pour le bien. Mais cette aisance spirituelle retrouvée est un point d’arrivée, au terme d’un long combat, non pour produire par nous-mêmes notre salut, mais pour l’accueillir comme une grâce issue de la seule mort du Christ. C’est le Christ, en effet, qui par son Incarnation a franchi l’abîme qui séparait depuis le péché la créature de son créateur ; en lui le premier la nature humaine a accueilli l’Esprit Saint, au bénéfice de tous. L’Esprit Saint va donc nous configurer au Christ, faire de nous d’autres christs.

Par la désobéissance du premier homme, nous avons reçu en nous un élément étranger à notre nature, la malice des passions ; passée en habitude et en prédisposition invétérée, elle est devenue comme notre nature ; par un autre élément étranger à notre nature, le don de l’Esprit céleste, elle doit être refoulée à son tour, pour que la pureté originelle soit rétablie. Et si nos supplications ardentes, nos demandes, notre confiance, notre prière et notre aversion du monde ne nous font pas recevoir maintenant la charité de l’Esprit céleste, si notre nature souillée par la malice ne s’attache pas à la charité, qui est le Seigneur, et n’est pas sanctifiée par cet Esprit de charité, si nous ne persévérons pas inébranlablement, jusqu’au terme, dans tous ses commandements, en ayant fait une complète volte-face, nous ne pourrons pas obtenir le Royaume céleste. […]

Le Dieu infini et incompréhensible, dans sa douce bonté, s’est rapetissé lui-même, a revêtu les membres de ce corps et l’a enveloppé, en descendant de son inaccessible gloire. Par mansuétude et par amour pour les hommes, il se métamorphose, se corporéifie, se mélange aux âmes saintes qui lui sont agréables et fidèles, il les enveloppe et devient avec elles « un Esprit », selon le mot de Paul (I Co 6, 17). Il devient, pour ainsi parler, une âme pour l’âme, et une substance pour la substance, afin que l’âme puisse vivre dans la divinité, avoir le sentiment de la vie immortelle et participer à la gloire incorruptible, si du moins elle en est digne et si elle est agréable à Dieu.

Homélie 4

 

De la lutte à la plénitude

Dépouillé de son vêtement de gloire, l’homme depuis le péché est resté comme nu, incapable de faire face au mal. Il expérimente en lui la présence des passions (attraits pour telle ou telle forme de mal), que son consentement éventuel va renforcer. Il peut au contraire choisir de lutter : en effet sa liberté lui reste contre le mal, et Macaire insiste beaucoup sur la libre coopération que nous devons apporter à la grâce.

Il n’est pas vrai, comme certains l’affirment, inspirés par de fausses doctrines, que l’homme est mort une fois pour toutes et complètement incapable de rien faire de bien. En effet, même si un petit enfant ne peut rien faire de lui-même et est incapable d’aller vers sa mère sur ses propres jambes, du moins il se roule, crie et pleure en cherchant sa mère. Et la mère a compassion de lui et se réjouit de voir le tout-petit la chercher avec effort et en poussant des cris ; et puisque le petit enfant est incapable d’aller vers elle, c’est la mère elle-même qui, à cause du grand désir qu’il a d’elle et prisonnière de son amour pour l’enfant, le soulève dans ses bras, le cajole et le nourrit avec une grande tendresse. C’est là ce que le Dieu ami des hommes fait lui aussi à l’égard de l’âme qui vient à lui et le désire avec ardeur.

Homélie 46

 

Ainsi l’itinéraire spirituel commence par une phase de combat, où la grâce est encore peu perceptible à l’homme. Dieu le permet ainsi pour éprouver sa persévérance et lui apprendre qu’il ne peut rien par lui-même. L’arme principale de la lutte est la garde des pensées, ou combat invisible contre les pensées mauvaises, qui procèdent d’un cœur non purifié ; il y faut de l’attention, mais avant tout de la contrition, qui appelle irrésistiblement l’Esprit Saint. Même si l’action de ce dernier n’est encore que peu sensible au lutteur, elle est déjà bien réelle, et va l’acheminer peu à peu vers la deuxième phase.

Dès qu’un homme, ayant entendu la parole de Dieu, entreprend la lutte, rejette toutes les affaires de cette vie, les liens du monde, tous les plaisirs charnels, les renie et s’en libère, et s’il se tient avec persévérance devant le Seigneur, lui consacrant tout son temps, il sera en mesure de découvrir qu’une autre lutte existe dans le cœur, une autre bataille, secrète, et une nouvelle guerre, contre les pensées suggérées par les esprits de malice, et qu’un autre combat l’attend. Et ainsi, s’il tient bon et invoque le Seigneur avec une foi inébranlable et une grande patience, attendant son secours, il pourra obtenir de lui la délivrance des liens, des lacets, des clôtures et des ténèbres des esprits de malice, et qui sont les opérations des passions cachées.

Cette guerre ne peut disparaître que par la grâce et la puissance de Dieu. Par lui-même, personne n’a la force de se libérer des pensées adverses et trompeuses, des passions invisibles et des artifices du Malin. Car, aussi longtemps qu’un homme est retenu dans les choses visibles de ce monde, entouré des diverses chaînes de la terre, entraîné par les passions mauvaises, il ne sait même pas qu’il y a un autre combat, une autre lutte, une autre guerre au-dedans de lui-même. C’est en effet quand un homme se lève pour combattre et se libérer de tous les liens visibles de ce monde, des affaires matérielles et des plaisirs charnels, et qu’il commence à se tenir avec persévérance devant le Seigneur en se vidant lui-même de ce monde, qu’il peut connaître le combat intérieur des passions qui se lève en lui, la guerre intérieure et les pensées mauvaises.

Homélie 21

 

Seul obtiendra et possédera son âme et la charité de l’Esprit céleste, celui qui se rend étranger à toutes les choses de ce siècle, pour se livrer à la recherche de l’amour du Christ, et dont l’intellect se tient hors de tout souci matériel et de toute distraction terrestre, en sorte qu’il puisse être tout entier occupé de son unique but, menant tout cela à bien grâce à tous les commandements, en sorte que tous ses soucis et toues ses préoccupations, toutes les distractions et les tracas de son âme, aient rapport à la recherche de l’essence immatérielle, au souci d’orner l’âme en pratiquant les commandements relatifs aux vertus, en recevant la céleste beauté de l’Esprit, en participant à la pureté et à la sanctification du Christ. Ainsi, ayant renoncé à tout, retranché tous les obstacles terrestres et matériels, se tenant éloigné de tout amour charnel et même de tout attachement aux parents et aux proches, l’homme ne doit plus permettre à son intellect d’être occupé ou distrait par quoi que ce soit d’autre, comme le pouvoir, la gloire, les honneurs, les amitiés charnelles de ce monde, ou les autres préoccupations terrestres. Au contraire, son intellect doit prendre complètement sur lui le souci et la tribulation que lui imposera la recherche de l’essence immatérielle de l’âme, et supporter sans défaillance d’attendre et de guetter la venue de l’Esprit, comme le dit le Seigneur : « Par votre patience, vous posséderez vos âmes. » Et encore : « Cherchez le royaume de Dieu, et le reste vous sera donné par surcroît. »

Celui qui combat de la sorte et reste constamment attentif à lui-même, soit dans la prière, soit dans l’obéissance, soit dans toutes les autres actions qu’il accomplit selon Dieu, pourra ainsi échapper aux ténèbres des puissances mauvaises. Car l’intellect qui ne cesse jamais d’être en quête de lui-même et de rechercher le Seigneur, peut posséder sa propre âme, que les passions mettaient en péril, en se réduisant constamment lui-même en captivité, avec violence et ardeur, à l’égard du seigneur, et en adhérant à lui seul, suivant le mot de l’Écriture : « Nous faisons toute pensée captive pour l’amener à obéir au Christ. » Ainsi, grâce à ce combat, à ce désir et à cette recherche, l’intellect deviendra digne d’être uni avec le Seigneur en un seul Esprit, l’Esprit du don et de la grâce du Christ, lequel repose alors dans le réceptacle de l’âme, rendue propre à toute œuvre bonne, et qui n’attriste plus l’Esprit du Seigneur par ses volontés propres, par les inquiétudes de ce monde, par le désir de la gloire, par l’esprit de domination, par l’attachement à ses idées, par les plaisirs charnels, par les relations et les rapports avec des hommes mauvais.

C’est chose agréable en effet qu’une âme qui se consacre tout entière au Seigneur, qui ne s’attache étroitement qu’à lui, qui jamais n’oublie de marcher dans ses commandements, qui honore comme il convient l’Esprit du Christ qui la visite souvent et la couvre de son ombre. Elle est alors jugée digne de lui être unie en un seul Esprit et un même mélange, comme le dit l’apôtre : « Celui qui adhère au Seigneur devient un seul Esprit avec lui. »

Homélie 9

 

C’est alors que l’homme obtient de goûter la plénitude de l’Esprit ; ce qui restait caché lui devient manifeste.  Macaire utilise les termes de certitude, sentiment, goût, expérience, puissance, pour décrire cette prise de conscience de l’énergie de l’Esprit Saint à l’œuvre. Il développe aussi le thème de la blessure d’amour, appelé à être repris tout au long de l’histoire de la spiritualité, et qu’il tient lui-même d’Origène. Tout s’apaise alors : le cœur tend spontanément vers la prière, vers l’action vertueuse ; il est dans la joie, libéré des pensées mauvaises qui l’assaillaient sans cesse. C’est déjà un avant-goût de la béatitude du ciel, où le corps à son tour revêtira la gloire de l’Esprit, par la résurrection.

L’âme qui a été parfaitement illuminée par l’ineffable beauté de la gloire lumineuse de la face du Christ, qui est entrée en communion avec le Saint-Esprit, qui a été jugée digne de devenir la demeure et le trône de Dieu, cette âme devient tout entière œil, tout entière lumière, tout entière visage, tout entière gloire, tout entière esprit. C’est ainsi que le Christ l’apprête, la porte et la conduit, la soutient et la dirige, la dispose et l’orne de beauté spirituelle. […] Si donc tu es devenu un trône de Dieu, si le céleste conducteur te dirige, si ton âme est devenue tout œil spirituel et toute lumière, si tu t’es nourri de ces aliments spirituels et désaltéré avec l’eau vive, si tu as revêtu les vêtements de la lumière ineffable, si ton homme intérieur s’est établi dans l’expérience et la certitude de tout cela, alors tu vis vraiment la vie éternelle, et dès maintenant ton âme repose en Dieu. Voici que tu as obtenu et reçu tout cela de lui en vérité, pour que tu vives de la vraie vie.

Homélie 1

 

Si les hommes charnels désirent à ce point la gloire d’un roi terrestre, combien plus ceux en qui s’est infiltrée la rosée de l’Esprit de vie, de l’Esprit de la Divinité, et dont elle a blessé le cœur d’un amour divin envers le Roi céleste, le Christ, sont-il attachés à cette beauté, à cette gloire ineffable, à cette majesté incorruptible et à cette richesse inconcevable du Roi éternel et véritable, le Christ, dont le désir et l’attrait les a captivés. Ils sont entièrement et totalement tendus vers lui, et ils désirent obtenir ces biens ineffables qu’ils voient par l’Esprit Saint et pour lesquels ils méprisent tout ce qu’il y a sur la terre en fait de beauté, de majesté, de gloire, d’honneur et de richesses royales et princières. En effet, ils ont été blessés par la divine beauté, et la vie céleste et immortelle s’est infiltrée dans leur âme. C’est pourquoi ils aspirent à cet amour pour le Roi céleste, et ils n’ont que lui devant les yeux, avec un grand désir. C’est ainsi qu’ils se libèrent de tout amour du monde et rompent tout lien terrestre, afin d’être capables de ne posséder constamment que ce seul désir dans leur cœur et de n’y rien mélanger d’autre. […]

Quand Dieu créa Adam, il ne le pourvut pas d’ailes corporelles comme les oiseaux, mais il tient en réserve pour lui les ailes du Saint-Esprit, c’est-à-dire les ailes qu’il lui donnera lors de la résurrection, pour qu’elles le soulèvent et l’emportent où le veut l’Esprit. Ces ailes, les âmes des saints les possèdent dès maintenant pour s’envoler par l’intellect vers des pensées célestes. Car les chrétiens ont un autre monde que les autres, une autre table, un autre vêtement, un autre plaisir, une autre communion, une autre manière de penser. C’est pour cela qu’ils surpassent tous les hommes. La capacité de tout cela, ils ont été jugés dignes de la recevoir de l’Esprit, dès maintenant, au-dedans de leurs âmes. C’est pourquoi, à la résurrection, leurs corps seront jugés dignes de posséder ces biens éternels de l’Esprit et d’être mêlés à cette gloire, dont leurs âmes ont reçu dès maintenant l’expérience.

Homélie 5

 

Dès que l’âme est parvenue à la perfection spirituelle, dès qu’elle a été parfaitement purifiée de toutes les passions, unie par une communion ineffable et mêlée à l’Esprit Paraclet, jugée digne de devenir esprit, mélangée à l’Esprit, alors elle devient toute lumière, tout œil, tout esprit, toute joie, toute suavité, toute allégresse, toute charité, toute compassion, toute bonté et toute douceur. Telle la pierre qui, dans l’abîme de la mer, est entourée d’eau de toute part, ces âmes sont mêlées de toutes les manières à l’Esprit Saint et rendues semblables au Christ ; elles possèdent constamment en elles les vertus de la puissance de l’Esprit, et elles sont intérieurement et extérieurement irréprochables, immaculées et pures.

Homélie 17

 

L’âme qui est vraiment amie de Dieu et du Christ, eût-elle fait dix mille actes de justice, se considère comme n’ayant rien fait, à cause de son insatiable désir de Dieu. Même si elle avait épuisé son corps par les jeûnes et les veilles, elle se comporterait comme si elle n’avait pas encore commencé à peiner pour les vertus. Malgré les divers dons de l’Esprit, les révélations et les mystères célestes qu’elle a été jugée digne de recevoir, elle a conscience de n’avoir absolument rien fait, à cause de son amour sans limite et insatiable pour le Seigneur. Mais tout au long du jour, affamée et assoiffée, tant elle a de foi et d’amour, persévérant dans la prière, elle reste insatiable à l’égard des mystères de la grâce et de la possession de toute vertu. Elle est blessée de l’amour passionné de l’Esprit céleste, qui éveille continuellement en elle, par la grâce, une brûlante aspiration envers l’Époux céleste, aspiration qui lui fait désirer d’être jugée digne d’obtenir en plénitude la communion mystérieuse et ineffable avec lui, dans la sanctification de l’Esprit. Le visage de l’âme est dévoilé, et elle fixe les yeux sur l’Époux céleste, face à face, dans une lumière spirituelle et inexprimable. Elle se mélange à lui dans une pleine certitude ; configurée à sa mort, elle attend sans cesse avec un grand désir de mourir pour le Christ et espère avec certitude de recevoir de l’Esprit une parfaite délivrance du péché et des ténèbres des passions. Alors, purifiée par l’Esprit, devenue sainte d’âme et de corps, elle est jugée digne de devenir un vase pur, capable de contenir le parfum céleste et d’accueillir le vrai Roi, le Christ lui-même. Et alors, elle est rendue digne de la vie éternelle, étant devenue dès cette vie une demeure pure pour l’Esprit Saint.

Cependant, une âme ne peut parvenir à une telle mesure en une seule fois, ni sans épreuve. C’est à travers beaucoup de travaux, de combats, de temps et de zèle, d’épreuves et de tentations diverses, que se réalise sa croissance spirituelle et son progrès jusqu’à la mesure parfaite de l’impassibilité. Si elle résiste avec décision et courage à chaque tentation que le Malin lui suscite, elle sera jugée digne de grands honneurs, des dons spirituels et des richesses célestes ; elle deviendra alors une héritière du Royaume céleste, dans le Christ Jésus notre Seigneur, à qui appartiennent l’honneur et la puissance à jamais. Amen.

Homélie 10

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