Saint Élie le prophète

Le prophète Élie, qui « surgit comme un feu » (livre du Siracide) pour défendre l’honneur de Dieu, est aussi le père des contemplatifs, brûlé jusqu’au bout par la rencontre amoureuse avec le Dieu vivant. Les premiers carmes ont médité longuement sur sa solitude au torrent de Carith, où, nourri et abreuvé par lui, caché aux regards des hommes, il est déjà un modèle de vie érémitique. Sur le mont Horeb, il fait l’expérience du passage de Dieu « dans le murmure d’une brise légère », au-delà de tous les phénomènes sensibles qui entourent habituellement l’approche du divin. Déjà tout tendu vers les réalités célestes, à l’issue de sa vie terrestre il s’élève au ciel dans un char de feu, préfiguration de la Résurrection de son Sauveur, qu’il rejoindra lors de l’épisode de la Transfiguration, et de notre propre divinisation à la suite du Ressuscité. Il est vénéré comme « père des moines », et fondateur symbolique de l’Ordre du Carmel.

 

Pour approfondir :

 

Élie surgit comme un feu…

Le prophète Élie surgit comme un feu, sa parole brûlait comme une torche.
Il fit venir la famine sur Israël, et, dans son ardeur, les réduisit à un petit nombre.
Par la parole du Seigneur, il retint les eaux du ciel, et à trois reprises il en fit descendre le feu.
Comme tu étais redoutable, Élie, dans tes prodiges ! Qui pourrait se glorifier d’être ton égal ?
Toi qui as réveillé un mort et, par la parole du Très-Haut, l’as fait revenir du séjour des morts ;
toi qui as précipité des rois vers leur perte, et jeté à bas de leur lit de glorieux personnages ;
toi qui as entendu au Sinaï des reproches, au mont Horeb des décrets de châtiment ;
toi qui as donné l’onction à des rois pour exercer la vengeance, et à des prophètes pour prendre ta succession ;
toi qui fus enlevé dans un tourbillon de feu par un char aux coursiers de feu ;
toi qui fus préparé pour la fin des temps, ainsi qu’il est écrit, afin d’apaiser la colère avant qu’elle n’éclate, afin de ramener le cœur des pères vers les fils et de rétablir les tribus de Jacob…
heureux ceux qui te verront, heureux ceux qui, dans l’amour, se seront endormis ; nous aussi, nous posséderons la vraie vie.

(Livre du Siracide, chapitre 48)

 

Père des contemplatifs

« Il est vivant, le Seigneur, devant qui je me tiens. » Ce cri de foi du prophète Élie, et tous les épisodes de sa vie relatés dans le premier livre des Rois, ont inspiré des générations de contemplatifs.

Les premiers carmes ont vu en lui leur véritable fondateur, qui, s’il n’avait pas réellement été à l’origine historique de leur Ordre, était celui qui avait vécu d’avance de cette vie toute à l’écoute de la voix de Dieu, dans le silence, la retraite, un amour brûlant pour celui qui l’avait saisi.

C’est en ouvrant la Bible, d’abord, qu’on peut rencontrer le grand prophète : il s’oppose au roi impie Achab, et à sa redoutable épouse Jézabel. Il fait triompher le droit de Dieu sur les prétentions des prêtres d’idoles, au mont Carmel. À sa prière, le ciel s’ouvre ou se ferme, la pluie est refusée ou accordée, condition de fertilité et de vie pour la terre d’Israël ; ce qui fera dire à saint Jacques dans son épître : « La supplication du juste agit avec beaucoup de force. »

L’Institution des premiers moines, manuel de spiritualité du premier Carmel, nous donne l’interprétation mystique de l’épisode d’Élie réfugié près du torrent de Carith — un mot bien proche du latin caritas, charité, d’où la réflexion de l’auteur anonyme du traité :

Élie, ce prophète de Dieu, est le premier moine ; il est à l’origine de cette sainte institution. Tendu en effet vers la contemplation divine, aspirant à un plus grand progrès, il se retira loin des villes, se dépouilla de tous les biens terrestres, de tous les biens du monde, et ainsi, le premier, de son plein gré, commença à mener une vie érémitique, religieuse et prophétique qu’il entreprit et poursuivit sous l’inspiration et sur l’ordre du Saint-Esprit. Car Dieu lui apparut, lui ordonnant de fuir la demeure des hommes, de se cacher au désert loin des foules et de vivre en moine dans la solitude, selon la règle qui lui avait été indiquée. […]

Dans cette vie, nous distinguons une double fin : l’une que nous atteignons par notre labeur et l’exercice des vertus avec l’aide de la grâce divine : offrir à Dieu un cœur saint et pur de toute souillure actuelle de péché ; nous y parvenons lorsque nous sommes parfaits et en Carith ; c’est-à-dire cachés dans cette charité dont le Sage dit : « La charité couvre tous les péchés » ; Dieu, dans son désir qu’Élie parvienne à cette fin, lui dit : « Cache-toi dans le torrent de Carith. »

L’autre fin de cette vie nous est proposée en vertu d’un pur don de Dieu ; elle consiste à goûter d’une certaine manière en notre cœur, à expérimenter dans notre esprit, la force de la divine présence et la douceur de la gloire d’en haut, non seulement après la mort, mais même en cette vie mortelle. Voilà ce qui est proprement boire au torrent de la Joie de Dieu. Cette fin, Dieu l’a promise à Élie en lui disant : « Et là tu boiras au torrent. »

On a déjà là en germe tous les développements ascétiques et mystiques des réformateurs du Carmel, Thérèse de Jésus et Jean de la Croix.

 

À la rencontre de Dieu

Pourtant Élie a plus à nous dire que le simple triomphe d’une foi intrépide. À travers l’expérience radicale de sa propre faiblesse, il sera amené à aller jusqu’au bout de l’union avec Dieu, entièrement livré à Celui qui vient mystérieusement habiter le cœur de l’homme, au-delà de toutes les manifestations sensibles de sa présence.

Le sommet de son expérience contemplative, en effet, c’est la rencontre avec Dieu à l’Horeb, seul à Seul, au terme d’une marche éprouvante où il faillit se laisser mourir de découragement :

L’ange du Seigneur le toucha et lui dit : « Lève-toi, et mange, car il est long, le chemin qui te reste. »
Élie se leva, mangea et but. Puis, fortifié par cette nourriture, il marcha quarante jours et quarante nuits jusqu’à l’Horeb, la montagne de Dieu.
Là, il entra dans une caverne et y passa la nuit. Et voici que la parole du Seigneur lui fut adressée. Il lui dit : « Que fais-tu là, Élie ? »
Il répondit : « J’éprouve une ardeur jalouse pour toi, Seigneur, Dieu de l’univers. Les fils d’Israël ont abandonné ton Alliance, renversé tes autels, et tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis le seul à être resté et ils cherchent à prendre ma vie. »
Le Seigneur dit : « Sors et tiens-toi sur la montagne devant le Seigneur, car il va passer. » À l’approche du Seigneur, il y eut un ouragan, si fort et si violent qu’il fendait les montagnes et brisait les rochers, mais le Seigneur n’était pas dans l’ouragan ; et après l’ouragan, il y eut un tremblement de terre, mais le Seigneur n’était pas dans le tremblement de terre ;
et après ce tremblement de terre, un feu, mais le Seigneur n’était pas dans ce feu ; et après ce feu, le murmure d’une brise légère.
Aussitôt qu’il l’entendit, Élie se couvrit le visage avec son manteau, il sortit et se tint à l’entrée de la caverne. Alors il entendit une voix qui disait : « Que fais-tu là, Élie ? »
Il répondit : « J’éprouve une ardeur jalouse pour toi, Seigneur, Dieu de l’univers. Les fils d’Israël ont abandonné ton Alliance, renversé tes autels, et tué tes prophètes par l’épée ; moi, je suis le seul à être resté et ils cherchent à prendre ma vie. »

(Premier livre des Rois, chapitre 19)

 

Élie, lorsqu’il entendit la voix du Seigneur lui parler, raconte qu’il se tint à l’entrée de sa caverne, et s’enveloppa le visage, car, au moment où la voix d’une intelligence d’en haut se fait entendre à l’esprit, l’être n’est plus tout entier à l’intérieur de sa caverne : le souci de la chair ne possède plus l’âme, et elle se tient à l’entrée car elle se prépare à franchir les étroites limites de sa condition mortelle. […]

Il importe de tendre l’oreille, de couvrir son visage et d’entendre en esprit la voix de l’être substantiel habitant au-dedans, et même de détourner les yeux du cœur de toute espèce créée, de peur que l’esprit n’imagine du corporel en ce qui est partout tout entier et infini.

[…] Ainsi nous, frères bien-aimés, ne présentons que l’envers de notre esprit à la corruption de la vie, et donnons le meilleur de note cœur à la liberté de la patrie céleste. Mais beaucoup de choses qui ont trait à la vie corruptible nous font encore souffrir. Et puisque nous ne pouvons pas sortir complètement, tenons-nous du moins à l’entrée de notre caverne, pour la quitter avec bonheur par la grâce de notre Rédempteur, qui vit et règne avec le Père en l’unité du Saint-Esprit qui est Dieu, dans tous les siècles des siècles. Amen.

(Saint Grégoire le Grand, Homélies sur Ézéchiel)

 

Ce « murmure d’une brise légère », mieux traduit peut-être par l’expression : « voix de fin silence », c’est l’expérience ineffable de la présence de Dieu, du don de l’Esprit, au-delà de tout ce que l’homme peut en comprendre. Cette « ardeur jalouse » du prophète, c’est celle d’un homme que ce passage de l’Esprit a marqué à jamais, et qui ne peut plus détacher son cœur du souvenir passionné de son Seigneur, aimé par-dessus tout.

Figure de la Résurrection

C’est bien cela qui fit que le prophète « surgit comme un feu », et termina sa vie terrestre, non par la mort, mais par le départ dans vers le ciel dans un mystérieux char de feu, figure de la résurrection du Christ, et symbole de notre propre divinisation, dans le feu de l’Esprit. On pense à cet apophtegme où un père du désert conseillait : « Si tu le peux, deviens tout entier comme du feu ».

Dans le feu vivant des êtres célestes, il fut emporté, ce corps pur de feu que le désir n’avait pas altéré. Va, dit la terre, sois pour moi un beau gage chez les anges, et comme une offrande, pénètre en don devant la Majesté ! Va en paix, car le ciel, mon frère, désire ta beauté et t’a ravi loin de moi, lui qui est digne de tous les êtres magnifiques ! Si Adam n’avait pas péché en Éden, il ne serait pas mort ! Salut, toi qui as montré toute la beauté de la créature dans sa splendeur avant qu’elle ne pèche ! Salut, veilleur de chair, homme esprit, enfanté qui ne meurs pas, corporel qui désormais ne souffres plus !

(Hymne traditionnelle « Sur saint Mar Élie le prophète et sur son ascension au ciel »)

Cet ultime épisode du cycle d’Élie dans le livre des Rois n’est pas le dernier où il apparaît dans la Bible. En effet, lors de la Transfiguration, il nous est rapporté que Jésus s’entretenait avec Moïse et Élie, autrement dit la Loi et les prophètes. Le témoignage d’Elie vient ainsi confirmer aux yeux des disciples la véracité de la mission de Jésus, prophète par excellence qui donnera sa vie pour que tous entrent dans l’Alliance scellée par son sang versé.

Prier aujourd’hui le prophète Élie

Ta parole, Dieu vivant,
Parfois reste secrète,
Voilée d’ombre et connue
Du seul cœur qui l’a reçue.
Sur les lèvres du prophète,
La voici devenue
Feu dévorant.

Dans l’audace de l’Esprit,
Élie annonce aux hommes
Ton amour obstiné
Qui consume pour sauver.
L’infinie miséricorde
Se révèle embrasée
De jalousie.

Tel Moïse, sur l’Horeb,
Il cherche ton visage ;
Tu t’approches, Seigneur,
Dans la force et la douceur.
Il tressaille à ton passage
Et sans voir ta splendeur
La reconnaît.

Bienheureux le serviteur
Saisi par ton mystère !
Il se tient dans tes voies,
Tu l’enlèves près de toi.
Il paraît dans la lumière
Qui précède la croix
De son Sauveur.

(hymne contemporaine à saint Élie, CFC – sr Marie-Pierre Faure)

Categories: Nos racines